Brulocalis a été consultée par la Ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden, à propos de la nouvelle version de l’avant-projet de loi relatif à l’approche administrative communale de la criminalité déstabilisante. Nous nous réjouissons de la prise en compte des remarques énoncées dans notre avis du 4 avril 2022, mais nous soulignons encore de nombreuses difficultés pratiques.

Brulocalis a été consultée à plusieurs reprises par les gouvernements actuel et précédent concernant des versions antérieures de cet avant-projet de loi. Nous avons notamment été consultés en avril 2022 par la Ministre Verlinden et avions remis un avis mitigé (voir l’actualité du 8 avril 2022).

Dans ce cadre, le 15 septembre 2022, Brulocalis a participé à une réunion avec différents intervenants du Gouvernement Fédéral, le Premier Ministre, les Bourgmestres des Grandes Villes, le Parquet et la Police fédérale au sujet de la lutte contre la criminalité organisée.

Suite aux divers échanges, le contenu de l’avant-projet a fait l’objet de plusieurs modifications et a à nouveau été soumis aux différents partenaires.

Brulocalis a analysé minutieusement la nouvelle mouture du texte afin de rédiger un nouvel avis qui a été envoyé à la Ministre de l’Intérieur ce 21 octobre 2022 (voir annexe).

Pour rappel, le cœur de cet avant-projet de loi consiste à inclure les communes dans la lutte contre la criminalité organisée (dite « déstabilisante »). L’avant-projet permet aux communes d’effectuer des enquêtes d’intégrité au sein de certains établissements publics situés sur son territoire où se déroulent des activités économiques. Il s’agit de vérifier si des activités illicites ont lieu dans ces établissements : blanchiment d’argent ; fraude ; trafic illicite ; traite des êtres humains, etc. La commune aura également accès à une base de données partagée pour mener son enquête et pourra demander l’avis à divers organismes et autorités.

Si l’enquête est concluante, l’avant-projet permet au Collège des Bourgmestres et Echevins de refuser, suspendre ou abroger le permis d’exploitation de l’établissement. Si l’exploitation de l’établissement n’est pas soumise à permis, il serait alors possible de procéder à la fermeture de ce dernier (voir actualité du 2 septembre 2022).

Bien que la nouvelle version de l’avant-projet de loi soit similaire à la mouture précédente, nous avons relevé quelques modifications dont notamment :

  • Avant de procéder à un refus, une suspension, une abrogation de permis d’exploitation ou à la fermeture d’un établissement, la commune devra obligatoirement demander l’avis de la DEIPP. Précédemment, cela n’était pas obligatoire. Nous estimons cela positif dans la mesure où cette démarche pourra diminuer le risque de mise en cause de la responsabilité de la commune concernée. Cette étape supplémentaire alourdira la charge de travail dans le chef de la DEIPP et, de façon générale, celle de la procédure relative aux enquêtes d’intégrité;
  • Les communes pourront désormais directement consulter le Registre des enquêtes d’intégrité. Dans la version précédente de l’avant-projet de loi, les communes devaient d’abord demander à la Direction chargée de l’Evaluation de l’Intégrité des Pouvoirs Publics (DEIPP) de consulter le registre pour leur donner un résultat (« hit/ no hit »). Cela peut constituer un gain de temps pour les communes lors des enquêtes d’intégrité. En parallèle, il faudra cependant épauler les communes pour consulter efficacement le registre et porter une attention particulière au respect des obligations légales relatives au traitement des données à caractère personnel, dont notamment le RGPD ;
  • Les délais de l’enquête d’intégrité ont été raccourcis. Or, la charge de travail relative à la réalisation de ces enquêtes d’intégrité est considérable. Le raccourcissement des délais n’est ni souhaitable, ni dans l’intérêt des communes.
  • Enfin, le terme de « criminalité déstabilisante » n’est pas plus clair que celui de « criminalité subversive », et ne permet pas de comprendre de quoi il s’agit in concreto.
     

Nos points d’attention sont restés similaires à notre avis précédent. Nous relevons notamment des difficultés quant à :

  • La faisabilité sur le terrain ;
  • Les délais très courts pour agir ;
  • Le nombre d’instances différentes à consulter et les contraintes qui s’y rattachent (RGPD, etc.) ;
  • La motivation des actes et l’impératif de les soumettre rapidement au Collège.
     

Nous insistons une nouvelle fois sur les problématiques structurelles que pose cet avant-projet de loi. Le texte pose problème en matière de séparation des pouvoirs en confondant le pouvoir judiciaire et administratif. Il consacre ainsi une compétence pour les communes afin de lutter contre la criminalité organisée, alors que cette compétence relève du fédéral. La réalisation des enquêtes d’intégrité dénature le rôle des pouvoirs locaux qui se limite traditionnellement au maintien de l’ordre public matériel. La priorité du fédéral devrait être de pallier tout d’abord au manque de moyens au sein du Parquet, de la Justice et de la Police fédérale.

Il s’agit d’un autre exemple de report de charge du fédéral vers les communes.

Des garanties doivent être octroyées aux pouvoirs locaux pour mettre en œuvre ces nouvelles compétences, comme des moyens humains, financiers ou pratiques. On s’attend en effet à une forte charge de travail et une augmentation des coûts liés à ces enquêtes, sans oublier le risque important de contentieux qui risque d’en résulter.

Conclusion

Brulocalis salue le travail de consultation et de prise en compte de certaines remarques des différents intervenants dans le cadre de l’élaboration de cet avant-projet de loi.

Toutefois, il subsiste encore d’importantes difficultés quant à la mise en œuvre pratique de cet avant-projet de loi. En effet, l’instauration des enquêtes d’intégrité telles que prévu par ce texte pose d’importants problèmes notamment pour les raisons énumérées ci-dessus ainsi que dans l’avis en annexe.

Nous insistons à nouveau sur la nécessité de financer ces mesures permettant la mise en œuvre pratique des nouvelles compétences confiées aux communes, c’est-à-dire entre autres des moyens humains et financiers ainsi que des ressources matérielles et organisationnelles. Le texte, tel qu’il est en l’état constitue un énième report de charge vers les communes.