Une autorité communale peut interdire la distribution de tracts, uniquement dans certains lieux et en certains temps, et si cette activité entrave la circulation, trouble l’ordre public, préjudicie la propreté des voiries ou crée des attroupements.

EN BREF

Le Conseil d’État s’est penché sur la question de la distribution de tracts sur l’espace public. Il a conclu qu’une autorité communale peut interdire la distribution de tracts, uniquement dans certains lieux et en certains temps, et si cette activité entrave la circulation, trouble l’ordre public, préjudicie la propreté des voiries ou crée des attroupements. La juridiction a précisé que son raisonnement s’appliquait pour tout type de tracts, dont les tracts électoraux. La compétence communale en la matière est prévue aux article 133, §2, et 135 de la Nouvelle loi communale. Certaines interdictions spécifiques sont, sur cette base, fixées par le Règlement général de police.


BASE LÉGALE

  • Nouvelle loi communale (ci-après « NLC »), art. 135, §2 ;
  • Règlement général de police (ci-après « RGP ») commun aux 19 communes bruxelloises : art. 51, §1 et §6.
  • Loi du 25 juin 1993 sur l'exercice et l'organisation des activités ambulantes et foraines, B. 30 septembre 1993.

EXPLICATIONS

1. LA NATURE DU TRACT

Dans le cadre de son arrêt du 26 juin 2019, le Conseil d’État ne fait aucune distinction entre la distribution de tracts électoraux ou d’une autre nature.

Il indique uniquement que la liberté de presse, ainsi que les libertés d’expression, de réunion et de manifestation d’opinions, ne sont pas absolues : elles peuvent être soumises à des conditions lorsqu’elles s’avèrent nécessaires au respect des autres droits prévus par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’Homme.

Les libertés d’expression et de réunion sont en effet ancrées aux articles 19 et 26 de la Constitution ainsi que dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CEDH »). Les articles 10 et 11 de la CEDH autorisent une ingérence des autorités publiques dans la mesure où celle-ci :

  • est prévue par la loi ;
  • est nécessaire dans une société démocratique et ;

sert à protéger l’ordre public ou la sécurité publique, à empêcher les faits répréhensibles et à protéger les droits et libertés d’autrui.

Vu ces différents éléments, le Conseil d’État s’avère, selon nous, favorable à la possibilité d’interdire la distribution de tracts électoraux, pourvu que cette interdiction soit limitée :

  • à certains lieux ainsi qu’à certains moments et ;
  • ait pour but le maintien de l’ordre public.

Une interdiction générale serait donc contraire aux droits à la liberté d’expression et à la manifestation de ses opinions.

2. LES LIMITATIONS POSSIBLES

La distribution de tracts de manière limitée ou soumise à déclaration préalable pourrait être justifiée, pourvu qu’elle soit encadrée.

a. L’article 135 de la NLC

Les communes ont pour mission d’assurer la propreté, salubrité, tranquillité et sûreté des lieux, rues et édifices publics et, ainsi, maintenir ou préserver l’ordre.

En effet, elles ont non seulement la possibilité, mais également le devoir de veiller à l’ordre public sur la voie et dans les lieux publics, ainsi que dans les lieux privés d’où proviennent des troubles[1].

Dans ce but, le conseil communal est compétent pour adopter des règlements de portée générale, sauf en cas de dangers ou dommages imminents, dans quels cas le bourgmestre peut prendre des ordonnances de police, à charge d'en donner sur le champ communication au conseil.

Par ces attributions, les communes seront notamment compétentes pour :

« 1° tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques ; ce qui comprend le nettoiement, l'illumination, l'enlèvement des encombrements, […]

2° le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, […]

le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ; » [2].

b. L’arrêt du Conseil d’État

Dans cet arrêt du 26 juin 2019, le Conseil d’État a reconnu que la distribution de tracts, qu’ils soient électoraux ou non, peut porter atteinte à la circulation ou causer des troubles à l’ordre public.

Les communes peuvent, sur base de l’article 135, §2, NLC, soumettre à autorisation préalable la distribution de tracts. À défaut, il pourrait également être envisagé d’infliger une sanction administrative.

Notons qu’il s’agit ici d’une possibilité offerte aux communes, et non d’une obligation.

En effet, le Conseil conclut son examen du litige qui lui est présenté en indiquant que :

« La distribution de tracts sur la voie publique en certains lieux ou à certains moments risque d’entraver la circulation, de troubler l’ordre public, de porter préjudice à la propreté des voiries et même de provoquer des attroupements.

Conformément à l’article 135, § 2, de la Nouvelle loi communale, cette activité peut par conséquent être soumise une obligation de déclaration préalable, laquelle peut faire l’objet d’une sanction administrative communale. »

Il renvoie, pour plus d’explications, à un raisonnement présenté dans un point précédent et sur un sujet différent, où il explique que :

« [Une activité artistique qui s’exerce en plein air] est, par conséquent, susceptible de provoquer un rassemblement qui est "entièrement soumis aux lois de police" selon les termes de l’article 26, alinéa 2, de la Constitution. L’autorité de police peut réglementer un tel rassemblement, le soumettre à une autorisation préalable ou même l’interdire au besoin, aux fins de veiller au maintien de l’ordre public. L’autorité communale a notamment pour mission de préserver la destination naturelle de la voie publique en vue d’assurer la commodité du passage et elle doit également assurer la tranquillité publique, conformément à l’article 135, § 2, de la Nouvelle loi communale. ».

Le mode, le lieu et le moment de distribution sont des facteurs qui peuvent entraîner une atteinte à l’ordre public par les rassemblements qu’elle entraine.

Ce faisant, le risque existe alors que les pouvoirs publics s’immiscent dans la liberté d’expression dans les lieux publics. Quiconque souhaite distribuer ses tracts considérera en effet tout règlement préventif comme une atteinte à la liberté d’expression.

Le Conseil d’État examine donc, dans cet arrêt, des questions de faits, opposant deux notions fondamentales de l’état de droit, à savoir le maintien de l’ordre public, ici caractérisé par la tranquillité publique et l’accessibilité de la voie publique, et la liberté d’expression, ici caractérisée par le partage d’opinions politiques via des tracts.

Chaque situation devra donc faire l’objet d’une mise en balance de ces droits et d’une analyse au cas par cas.

c. Le Règlement général de police

Comme expliqué dans le point a. relatif à l’article 135 NLC, les communes ont le pouvoir d’intervenir sur le plan réglementaire. Par cette attribution, les 19 communes bruxelloises ont décidé d’inclure, dans leur Règlement Général de Police commun, une section dédiée aux ventes et distributions dans l’espace public.

Par son article 51, le RGP prévoit le cadre et les limites de cette interdiction :

« L’activité des distributeurs de journaux, d’écrits, de dessins, de gravures, d’annonces et de tous imprimés quelconques ne peut troubler l’ordre public ni entraver la circulation. »

Des obligations s’appliquent également aux personnes exerçant ces activités :

  • Une autorisation préalable de la commune est nécessaire pour utiliser du matériel lors de l’activité souhaitée (§2). La notion de matériel comprend les stands, charrettes ou tout autre matériel pouvant constituer une entrave pour les passants, provoquer des nuisances en termes de propreté publique ou s’apparenter à une appropriation de l’espace public sans autorisation (§5) ;
  • Il est obligatoire de ramasser les tracts qui seraient jetés aux abords de l’endroit de distribution (§3);
  • Une autorisation préalable de la commune est nécessaire pour accoster, suivre ou importuner les passants (§4).

Une interdiction totale de vente et de distribution est également prévue sur certaines zones du territoire de la Ville de Bruxelles et d’Ixelles (§6).

En cas de non-respect du RGP ou de l’autorisation octroyée par la commune, celle-ci pourrait être suspendue, retirée ou non-renouvelée (Art. 9, §1, RGP).

  • Voir notre fiche pratique relative à l’affichage avant les élections communales

3. L’INTERDICTION DE DISTRIBUTION OU D’OCCUPATION D’UN EMPLACEMENT SUR LE MARCHÉ PUBLIC

Conformément à la loi du 25 juin 1993, l’organisation des marchés publics est régie par un règlement communal[3]. Dans l’esprit de la loi, le marché public doit être considéré comme un lieu destiné à la vente de marchandises ou de services par des commerçants[4]. Le marché est donc un événement commercial.

Le Conseil d’État a suivi ce raisonnement et a reconnu comme fondé le refus par une commune d’attribuer un stand pour l’exercice d’activités et la distribution de tracts politiques. En effet, cette activité n’étant pas commerciale, les demandeurs ne respectent pas les conditions afin d’obtenir un emplacement sur un tel marché.[5]

Comme développé ci-dessus, la situation sera différente lorsqu’il s’agit simplement d’être présent sur le marché pour y distribuer des tracts.

L’autorisation préalable ou l’interdiction doit être examinée à la lumière de l’exercice du droit fondamental à la liberté d’opinion et d’expression. Selon le Conseil d’État, il faut toujours examiner si l’interdiction repose sur des motifs acceptables en droit ou dans les faits. La distribution de tracts sur la voie publique en soi n’est pas de nature à troubler l’ordre public ; elle ne peut donc être totalement interdite, au risque d’entraver les droits à la liberté d’expression et de réunion garantis par la Constitution. 

4. CONCLUSION

L’autorité communale pourrait donc conditionner (notamment par l’introduction d’une demande préalable) ou interdire la distribution de tracts sur la voie publique, soit de manière individuelle, sur base des articles 133 et 135, §2, de la NLC, soit de manière collective, sur base du RGP.

Il est toutefois important de garder à l’esprit que, comme l’a indiqué le Conseil d’État, ces limitations ou interdictions sont uniquement possibles à deux conditions :

  • Elles sont limitées dans le temps et l’espace ;
  • La distribution des tracts, qu’ils soient électoraux ou non, risque d’entraver la circulation, de troubler l’ordre public, de préjudicier la propreté des voiries ou de créer des attroupements.

Consulter la fiche pratique


RÉFÉRENCES

Jurisprudence

  • C.E., 11 septembre 1998, inéd., n° 75.735, Anciaux, A.J.T., 1998-1999, p. 203 ;
  • C.E., (15e ch.), 26 juin 2019, n°244.972, Cremer.

Doctrine

  • A. Vassart, La commune et l’ordre public, Politeia, 2013, pp. 12 et s.

[1] A. Vassart, La commune et l’ordre public, Politeia, 2013, pp. 12 et s.

[2] Nouvelle loi communale, art. 135, §2.

[3] Loi du 25 juin 1993, art. 8, §1.

[4] Loi du 25 juin 1993, art.1, 4°.

[5] C.E., 11 septembre 1998, inéd., n° 75.735, Anciaux, A.J.T., 1998-1999, p. 203.