Le 17 juin 2024, le Comité de Gestion des pensions des administrations locales et provinciales adressait un mémorandum aux négociateurs politiques. Quels sont les constats et les demandes formulées ?

Rôle du Comité de Gestion

Le Comité de Gestion est composé de 14 membres : 7 pour les employeurs et 7 pour les organisations syndicales. Un Commissaire du Gouvernement et un Commissaire du Gouvernement au Budget assistent aux réunions.

Il est chargé de prendre les décisions relatives à la Gestion du Fonds de Pension Solidarisé.

Ce fonds, créé en 2011, regroupe toutes les administrations locales et provinciales affiliées pour le payement des pensions de leur agents statutaires nommés à titres définitifs. Il est composé des Communes, CPAS, provinces, zones de polices, hôpitaux publics...

1581 pouvoirs locaux belges y sont affiliés, dont 857 flamands, 679 wallons et 51 bruxellois, parmi lesquels 16 communes et 13 CPAS.

Les pouvoirs locaux, seul niveau de pouvoir à devoir assumer leur charge de pension

Les pouvoirs locaux affiliés versent au FPS des cotisations afin de payer les pensions des agents nommés à la retraite.

Il s’agit d’un système de répartition alimenté par :

  1. des cotisations personnelles, payées par le travailleur (7,5%),
     
  2. des cotisations patronales, composées :
    • d’une cotisation de base, de 37,5% en 2024,
    • d’une cotisation de responsabilisation : chaque pouvoir local couvre la différence entre sa charge réelle et ce qui est effectivement couvert (50% en 2022, 71,45% en 2023 et 74% en 2024).

À titre de comparaison, un pouvoir local affilié paiera en général pour un contractuel une cotisation patronale de 28,86% contre 45% pour les statutaires. Soit une différence de 16,14%.

 Salarié Indépendant  Fonct. FédéralFonct. RéginalFonct. Locale
Travailleur

1/3

2/3

1/4

1/4

1/4

Employeur

1/3

-

-

1/4

3/4

Etat fédéral

1/3

1/3

3/4

1/2

0

 

Les pouvoirs locaux affiliés sont les seuls à supporter leurs charges de pensions et jusque 2021 dans le cadre de la revalorisation barémique des agents, les pouvoirs locaux bruxellois étaient les seuls à ne pas être soutenus par leur Région.

À titre d’exemple en 2024, la charge des pensions pour l’ensemble des pouvoirs locaux affiliés au FPS atteignait 3.783.400.273€. S’ils ne devaient s’acquitter que du même pourcentage de cotisation payé par les Régions ou les Communautés (soit 8,86% en 2028), ce montant ne s’élèverait plus qu’à 454.812.417€ (sur les 5.133.323.000€ de la masse salariale totale des agents statutaires des 1581 pouvoirs locaux affiliés )

Si l’on ne tient compte que des 29 communes et CPAS bruxellois affiliés, leur charge des pensions s’élevait à 276.443.566€. Si on leur appliquait le même pourcentage que la Région bruxelloise (8.86%), ce montant ne s’élèverait plus qu’à 27.500.805€, soit 10x moins.

Afin de limiter les coûts liés à leurs statutaires et maitriser leur charge de pensions, les pouvoirs locaux ont de plus en plus recours au personnel contractuel.

Selon les derniers chiffres du SFP (2021), les agents contractuels représenteraient 72% en Flandre, 75% en Wallonie et 71% à Bruxelles de la masse des agents des pouvoirs locaux affiliées au FPS.

L’avenir du Fonds de Pension solidarisé en péril

Le modèle actuel, fondé sur la loi du 24 octobre 2011 qui a créé le Fonds de Pension Solidarisé et le système de double cotisation (de base et de responsabilisation), d’une part, et sur la loi de mars 2018 instaurant la pension mixte et un incitant pour la constitution d’un second pilier pour les agents contractuels, d’autre part, a aujourd’hui atteint ses limites.

a) Le recours toujours plus important aux contractuels entraine une diminution de la masse salariale des statutaires sur laquelle les cotisations destinées à alimenter le Fonds sont prélevées. Cet effet est amplifié par le vieillissement de la population. En d’autres termes, non seulement la charge des pensions augmente avec l’arrivée de nouveaux pensionnés et l’augmentation de l’espérance de vie, mais les réserves du Fonds diminuent rapidement dans le même temps.

La Cour des Comptes avait en 2021 résumé le cercle vicieux de la contractualisation comme suit :

  • Le total des dépenses du Fonds de Pension Solidarisé s’élevait à 2,36 milliards d’euros en 2016. Elles atteignaient 3,78 milliards d’euros en 2024 et seront de près de 5 milliards d’euros en 2029.
  • Les réserves sont quant à elles passées de 500 millions d’euros en 2011 à 190 millions d’euros en 2023.
  • D’autres éléments ont accentué la situation difficile dans laquelle se trouve le FPS : une perception tardive de la cotisation de responsabilisation, une modification du principe de perception, une sous-estimation des cotisations prélevées et l’inflation.

Afin de pouvoir poursuivre le payement des pensions dues, le SFP a sollicité en 2023 au Gouvernement l’octroi d’une ligne de crédit auprès de l’agence de la dette de 100 millions d’euros, entrainant de nouveaux frais liés à la charge d’intérêts.

Ces dernières années, le Comité a plusieurs fois alerté le Gouvernement sur la situation et l’avenir des Pensions des Administrations, contribuant à tendre les relations avec le niveau Fédéral.

La marge de manœuvre du Comité de Gestion est actuellement limitée. Afin de combler les déficits, il lui est demandé chaque année de se prononcer soit sur l’augmentation de la cotisation de base, soit sur celle de la cotisation de responsabilisation. Mais il s’agit d’un emplâtre sur une jambe de bois, qui oblige à les membres à privilégier la solidarité (cotisation de base) à la responsabilité (cotisation de responsabilisation), ou l’inverse. Ce faisant, opter pour un choix induit de favoriser certains pouvoirs locaux au détriment d’autres.

b) Le principe de « l’incitant second pilier » ou « Bonus/Malus » proche de l’extinction

Instauré par la loi de 2018, cet incitant permet aux pouvoirs locaux affiliés de déduire 50% du montant de leur cotisation de responsabilisation pour autant qu’ils aient mis en place un second pilier de pension pour leurs agents contractuels. Les Unions des Villes et communes s’étaient dès le départ catégoriquement opposées à ce dispositif. Le Gouvernement Fédéral était passé outre.

En effet, ce système, dit « bonus-malus », a été pensé en enveloppe fermée, si bien que les pouvoirs locaux ne disposant pas de second pilier financent le bonus de ceux qui l’ont introduit. Or, de plus en plus de pouvoirs locaux l’ont mis en place, avec deux conséquences :

  • la première : un déséquilibre s’est rapidement installé.

En 2019: 413 pouvoirs locaux étaient en bonus et 327 en malus

En 2023 : 732 pouvoirs locaux étaient en bonus et 202 en malus

  • et, d’autre part, le montant de l’enveloppe totale a explosé :

En 2019 : 29 millions €

En 2023 : 105 millions €

Aujourd’hui, les Pouvoirs Locaux affiliés en malus ne sont plus assez nombreux pour financer ceux en Bonus.

Cette situation a entrainé un déficit structurel au sein du FPS à hauteur de 57 millions d’euros en 2023 et de 80 millions d’euros en 2024

Les Unions des Villes et Communes et le Comité de Gestion ont obtenu de la part du Fédéral une dotation « one shot » de 140 millions d’euros afin de couvrir ces montants.

Cependant, une proposition de phasing out devrait être toutefois soumise au Comité de Gestion des administrations provinciales et locales, à partir de 2025.

Groupe de travail au sein du Comité de Gestion

a) Analyses effectuées

Le Comité de Gestion a effectué une série de simulations et d’analyses sur base de la législation existante, l’objectif étant de formuler des recommandations réalistes.

3 scénarios différents ont fait l’objet d’une analyse jusque 2100 :

  • le maintien de la situation actuelle, le « AS IS »,
  • le « MIN », soit la contractualisation de tous les agents des pouvoirs locaux à partir du 1er janvier 2025 - Arrêt complet des nominations,
  • le « MAX » - soit la statutarisation totale des agents des pouvoir locaux à partir du 1er janvier 2025.

Il s’agit de scenarios volontairement poussés à l’extrême afin de ressortir sur le long terme les tendances du choix d’une de ces 3 options. Initialement prévue jusque 2060, l’analyse s’est effectuée à la demande des membres du Comité jusqu’en 2100.

  • Dans le scénario MAX (en gris), si les nominations sont plus avantageuses à court et moyen termes, il s’agit du scenario le plus coûteux sur le long terme.
  • Les scénarios AS IS (en bleu) et MIN (en orange) sont assez proche, le MIN étant le moins coûteux des 3 scénarios analysés. Ce n’est pas une surprise puisque la part des contractuels est déjà, en moyenne, aux alentours de 72/73%. Le passage à une contractualisation totale a donc des effets positifs au niveau des coûts mais limités par rapport à la situation actuelle.
  • Si une solution sur le long terme doit être dégagée, elle se trouvera sans doute entre les scenarios MIN et AS IS.
  • L’augmentation des dépenses se poursuit jusqu’autour de la période 2055, elle diminue par la suite, il conviendrait donc de dégager une solution couvrant les 30 prochaines années environ.

b) Recommandations adressées aux négociateurs / formateurs

S’appuyant sur les constats et résultats des différents scenarios, le Comité de Gestion a souhaité rédiger un document court et percutant.

Il attire également l’attention sur les difficultés que connaissent les pouvoirs locaux pour supporter leur charge de pension et sur la nécessité de prendre des décisions le plus rapidement possible.

Enfin, ces décisions doivent être envisagées sur une longue période car dans cette matière spécifique, les choix posés aujourd’hui ne produiront leurs effets que bien plus tard.

Afin d’assurer la soutenabilité du système, le Comité de Gestion se prononce sur la nécessité d’un cofinancement pour les 30 prochaines années, qu’il conviendrait d’instaurer au plus vite.

Ce cofinancement doit être obtenu en premier lieu auprès du Gouvernement Fédéral, en charge de ces matières. Il rappelle que le Trésor public a repris les coûts de pensions de la SNCB, de Bpost, de Belgacom, et qu’il intervient dans les pensions des employés, des fonctionnaires et des indépendants. Or, les pouvoirs locaux assument seuls leur charge de pension. Il ne faut pas que le Fédéral laisse aux Régions cette responsabilité, sous prétexte d’être l’autorité de tutelle.

Ce financement externe pourrait prendre plusieurs formes :

  • une dotation d’équilibre fédérale pour soutenir les pensions locales, les taux des cotisations de base et de responsabilisation restant figés jusqu’à la période de basculement autour de 2055. La charge pesant sur les pouvoirs locaux doit absolument diminuer. Les taux des cotisations doivent être revus à la baisse.
  • L’ouverture d’un dialogue entre l’administration fédérale avec les Régions, en tant qu’autorité de tutelle.
  • La disparition du FPS, qui cesserait d’exister. Les pensions des pouvoirs locaux seraient intégrées au Trésor public, selon des modalités qu’il conviendrait de définir.

Le Comité de Gestion attire également l’attention sur la cotisation de modération salariale qui a été versée au Trésor public entre 1989 et 2018. Or, cette cotisation, payée par les pouvoirs locaux pour leurs agents statutaires, est restée dans le giron de la Sécurité Sociale et a servi au financement des pension des employés du régime général des pensions. Le montant total a été estimé à 1 milliard d’euros sur les 10 dernières années. Il devrait être reversé au FPS, comme c’est le cas depuis 2018.

Enfin, le Comité de Gestion est ouvert, sous condition d’une décision positive quant à un cofinancement structurel de la charge des pensions des administrations locales, à formuler des propositions sur le mode de financement des coûts restants des pensions (revoir les principes de cotisation de base, de la cotisation de responsabilisation ou du rétablissement d’une caisse de pension pour la police intégrée), tout en s’efforçant de toujours trouver un équilibre pour assurer la viabilité du système.