« Prévenir vaut mieux que guérir ». Cet adage ancien n’a rien perdu de sa pertinence, surtout en matière de santé publique. L’Aide Médicale Urgente (AMU), censée garantir l’accès aux soins pour les personnes sans titre de séjour, incarne cet impératif. Pourtant, derrière cette ambition louable se cache une réalité bien plus complexe.
Depuis la publication du rapport de la Cour des comptes le 22 mai 2025, l’AMU s’est retrouvée sous les projecteurs, avec des titres chocs, souvent trop simplistes face à une réalité bien plus nuancée.
Concrètement, l’AMU consiste en une intervention financière du CPAS dans les frais médicaux de personnes en séjour irrégulier. Elle ne prend pas la forme d’un versement direct à la personne, mais couvre les prestations médicales (consultations, soins hospitaliers, médicaments, etc.). Contrairement à ce que son nom laisse entendre, l’AMU ne se limite pas aux urgences : elle peut aussi couvrir des soins préventifs ou chroniques, à condition qu’un médecin en établisse la nécessité.
Mais sur le terrain, les CPAS tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs années : lourdeur administrative, procédures lentes, exigences de plus en plus strictes en matière d’enquête sociale et de justification des soins… Tous ces éléments rendent l’accès à l’AMU difficile, voire dissuasif pour les personnes les plus vulnérables. Et ce, alors même que l’AMU est une obligation et une compétence fédérale — coordonnée par le SPP Intégration Sociale — mais mise en œuvre localement, avec des répercussions financières importantes pour les communes.
Cela fait des années que notre Fédération alerte sur cette complexité, dans nos mémorandums, études et interpellations. Beaucoup de demandeurs se retrouvent piégés dans un labyrinthe administratif, ce qui retarde — ou empêche —l’accès aux soins. Et rappelons-le : 70 % de cette charge fédérale repose sur notre région.
Le constat de la Cour des comptes est clair : 85 % des dépenses AMU concernent des soins hospitaliers, contre seulement 11 % dans la population générale. Un chiffre qui reflète un système où le manque d’accès aux soins ambulatoires pousse les personnes à se tourner vers les urgences — solution plus coûteuse et moins adaptée.
C’est avec ce même constat que notre Fédération avait publié son étude en décembre 2024. Elle proposait une réforme pour intégrer le concept de prévention dans le système actuel en axant une prise en charge simplifié de la partie ambulatoire (retrouvez l’étude complète : prévenir l'AMU).
En conclusion, parmi les nombreuses recommandations formulées par la Cour des comptes, celle —largement relayée par les médias —appelant à un renforcement des contrôles envers les CPAS soulève des interrogations. Si le respect des règles est bien entendu fondamental, nous estimons que ce n’est pas en alourdissant davantage les mécanismes de contrôle que l’on parviendra à résoudre les blocages actuels.
Le non-respect des délais légaux ne résulte pas d’un manque de volonté, mais bien d’un système devenu trop lourd à gérer. Des critères d’enquête sociale devenus de plus en plus stricts, l’obligation de lier chaque prestation à une attestation médicale, et une pression administrative constante pour garantir le remboursement fédéral. Tout cela, dans un contexte de pénurie aiguë de travailleurs sociaux.
Les CPAS bruxellois le reconnaissent eux-mêmes : ils ne parviennent plus toujours à respecter le délai légal de 30 jours. Avant de renforcer les contrôles, il semble donc prioritaire de revoir les procédures, de réduire la complexité administrative et de renforcer les moyens humains sur le terrain. C’est à ce prix que l’AMU pourra réellement remplir sa mission : garantir un accès digne, rapide et équitable aux soins de santé pour toutes et tous, sans distinction de statut.
Outre ce mécanisme visant à favoriser l’accès au service ambulatoire, la Fédération des CPAS rappelle, dans ses travaux, plusieurs recommandations :
- renforcer le rôle du SPP Intégration sociale dans l’accompagnement des CPAS, notamment par le biais de formations, d’un suivi des pratiques, de l’instauration d’une fonction de médiation et de la mise en place d’audits constructifs plutôt que purement contrôlants.
- Publier une circulaire clarifiant la position du SPP IS concernant les éléments de l’enquête sociale sur lesquels les CPAS peuvent se baser pour l’octroi de l’aide relative aux frais médicaux.
- Créer un subside fédéral en faveur des CPAS, via un mécanisme comparable à celui prévu à l’article 40 de la loi DIS, afin de couvrir la charge de travail liée au traitement des demandes d’intervention dans les frais médicaux et pharmaceutiques à charge de l’État fédéral.
- Généraliser et faciliter l’utilisation du logiciel Mediprima pour l’ensemble des prestataires de soins, dans le but de simplifier la charge administrative liée à la gestion de l’Aide Médicale Urgente (AMU).
- Adapter le cadre législatif à la jurisprudence belge, notamment en matière de séjour touristique, qui condamne systématiquement les CPAS à intervenir dans le paiement des factures hospitalières, alors même que le cadre législatif actuel ne le prévoit pas.