Les principes de droits de la défense ou audi alteram partem, c'est la même chose? Pas vraiment! Les garanties à octroyer aux destinataires des décisions de l'administration ne sont pas les mêmes. En plus, matière de police administrative générale, tous les actes ne sont pas visés ...

Introduction

Le principe audi alteram partem ou autrement nommé « audition préalable » est un principe général de droit fondamental. Il permet aux administrés de faire valoir leurs arguments lorsqu’une mesure grave semble pouvoir être prise à leur encontre. 

Ce principe doit tout d’abord être différencié du principe des droits de la défense, très proche, mais garantissant des droits différents à l’administré. 

Une fois cette distinction effectuée, la portée du principe audi alteram partem sera établie afin de pouvoir faire une mise en perspective entre ce principe et la police administrative générale.

Concrètement, nous répondrons à la question de quels types d’actes sont visés par ce principe emblématique. 

Distinction entre les principe « Audi alteram partem » et des droits de la défense

Tout d’abord, il est essentiel de faire la distinction entre audi alteram partem et les droits de la défense, car ces deux principes ne garantissent pas les mêmes droits dans le chef de l’administré ni les mêmes obligations dans le chef de l’administration.

Les droits de la défense ont été définis comme « le principe général du droit imposant à l’administration de permettre à l’administré de se défendre utilement lorsqu’elle envisage de prendre une mesure à caractère punitif»1. Ce principe a une valeur législative2 et s’applique essentiellement en matière disciplinaire3. 

À contrario, le principe audi alteram partem ou « audition préalable » est défini comme « un principe général de droit à valeur législative4, qui impose à l’autorité administrative de permettre à l’administré de faire valoir ses observations au sujet d’une mesure grave, mais non punitive, qu’elle envisage de prendre à son égard »5. Cette mesure ayant été influencée par le comportement de l’administré. 

Quand est-ce qu’on peut appliquer l’un ou l’autre principe ? Il est classiquement admis que le principe des droits de la défense est applicable aux procédures administratives susceptibles d’aboutir à l’adoption d’un acte destiné à sanctionner son destinataire6. Ce sera le caractère punitif ou pas de l’acte qui permettra de se positionner quant au principe à appliquer. 

Cette distinction n’est pas toujours aisée à faire. À titre d’exemple, voici une liste non exhaustive des décisions du Conseil d’État ayant permis de classer des situations selon les principes applicables : 

Les cas dans lesquels l’administration devra garantir les droits de la défense : 

  • Une sanction disciplinaire d’avertissement ; 
  • Une sanction disciplinaire de révocation ;
  • Une sanction disciplinaire de rétrogradation ; 
     

Les cas dans lesquels l’administration devra garantir le principe audi alteram partem : 

  • Lorsque l’administration risque de suspendre l’exécution de l’autorisation d’exploitation d’un service de taxis, à raison du comportement de son exploitant ; 
  • Lorsque l’administration s’apprête à retirer l’autorisation de terrasse accordée à un restaurant ; 
  • Lorsque le bourgmestre d’une commune projette de déclarer un immeuble inhabitable ; 
     

Les cas où l’administration devra garantir les deux principes selon le caractère punitif ou pas de la décision : 

  • Une décision de démission d’office à la suite d’une absence prolongée injustifiée ; 
  • Une décision de changement d’affectation/ déplacement ; 
  • Une décision de placer un agent en non-activité de service ; 
  • Une décision de suspension dans l’intérêt du service 
     

Suite à ces exemples, on peut déduire qu’il existe des zones d’ombres concernant les champs d’application respectifs de ces deux principes et le Conseil d’État a tendance à interpréter les différents critères des définitions respectives de manière très évolutive. La distinction entre le principe audi alteram partem et les droits de la défense tend de plus en plus à s’amenuiser7 mais existe toujours. 

Toutefois, il est important de faire la distinction entre ces deux principes, pourtant très similaires, car ils n’octroient pas les mêmes garanties : 

Garanties 

Droits de la défense 

Audi Alteram Partem 

Droit d’être informé des faits à la base de la mesure 

Oui 

Oui

Droit d’être informé de la nature de la mesure envisagée 

L’agent doit être informé qu’une sanction est envisagée8. 

Si une audition est prévue, il appartient à l’autorité d’informer préalablement la personne de la mesure qu’elle entend prendre à son égard9. 

Droit de consulter un dossier complet 

Oui 

Oui 

Droit se faire entendre 

L’administré doit être invité à faire valoir ses arguments oralement, sauf si la sanction est de moindre importance10. 

Toutefois, sil l’agent a pu faire valoir ses arguments par écrit et n’a pas demandé d’audition, il pourra difficilement le reprocher à l’autorité11. 

Il est estimé suffisant que l’administré puisse se défendre par écrit. Ce principe exige seulement que l’intéressé ait pu utilement faire valoir son point de vue, à un moment donné de la procédure12. 

Quand l’administré doit-il pouvoir se défendre ? 

À un moment de la procédure en amont de la décision, au moment le plus approprié

Le Conseil d’État tient compte de la manière dont l’administré a déjà pu faire valoir son point de vue dans une phase préliminaire ou à un stade antérieur de la procédure. 

Les modalités de l’audition 

Les modalités sont strictes

Les modalités peuvent être souples, un entretien téléphonique peut suffire. 

Possibilité de se faire assister par une autre personne 

Oui 

Oui 

Caractère d’ordre public 

Oui 

Non13, l’urgence peut par exemple permettre de passer outre ce principe. 

Quelle est la portée du principe audi alteram partem ? 

Maintenant que nous avons établi la distinction entre ces deux principes, intéressons-nous au principe audi alteram partem, en tant que principe de bonne administration, qui est susceptible de dicter la conduite de l’action administrative. 

Ce principe rencontre deux objectifs. Il s’agit d’une part de permettre à l’autorité de statuer en pleine connaissance de cause et, d’autre part, de permettre à l’administré de faire valoir ses moyens compte tenu de la gravité de la mesure que l’autorité s’apprête à prendre à son égard14. 

D’ailleurs, précisons qu’il s’agira de cas où l’administration dispose d’une compétence discrétionnaire, c’est-à-dire lorsque le pouvoir décisionnel de l’administration comporte une marge d’appréciation, si minime soit-elle15. 

Il est l’objet d’un important contentieux en matière de police administrative générale16 caractérisée en effet par l’adoption de mesures à portée individuelle pouvant porter gravement atteinte à la situation administrative de leurs destinataires. 

Il s’agit alors d’assurer et de « favoriser l’information de l’autorité »17. Le principe « requiert l’audition des administrés afin de préparer soigneusement la décision administrative »18. 

Certains n’y voient que le bon sens érigé en principe général « qui impose à l’administration d’avoir une connaissance exacte des situations qu’elle est appelée à régler avant de prendre une décision »19. Par ailleurs et « sauf urgence20 avérée, il n’appartient pas à l’autorité administrative de préjuger de l’utilité des explications qui pourraient lui être données »21. 

Il en découle en tout cas un véritable devoir de minutie dans le chef de l’administration dans la recherche des faits sur base desquels elle prend sa décision22. Le devoir de minutie vise à obliger l’administration à adopter ses décisions de manière soigneuse, en s’entourant de tous les éléments pertinents et en ayant procédé à un examen complet du dossier23. 

Lorsque la mesure grave que l’autorité administrative s’apprête à prendre est justifiée par le comportement personnel de son destinataire, le Conseil d’État a par ailleurs considéré que : « le principe audi alteram partem impose à l’autorité qui a l’intention de prendre une mesure grave en raison du comportement de l’intéressé, d’informer ce dernier de la mesure qu’elle envisage de prendre »24.

Nous allons examiner l’application du principe de l’audition préalable selon le type de mesure choisi par l’autorité chargée d’assurer une bonne police (un arrêté de police à portée individuelle ou une ordonnance de police, à caractère réglementaire). 

3. Le principe « Audi alteram partem » et les actes de la police administrative générale 

Bon nombre de mesures prises sur base de la police administrative générale sont de nature à porter atteinte à la situation administrative de leurs destinataires. Le cas d’école étant l’arrêté de police ordonnant la fermeture d’un immeuble dont la sécurité pour le ou les occupants ne serait plus garantie notamment en présence d’un risque anormal d’incendie.

Le principe audi alteram partem trouve particulièrement à s’appliquer à cette situation étant donné la possibilité pour cette dernière de porter gravement et irrévocablement atteinte aux intérêts de l’administré. Il appartient dès lors au Bourgmestre, conformément au principe de bonne administration, de permettre aux destinataires de la décision d’exposer leurs arguments à propos des faits que celui-ci souhaite retenir afin de déclarer la maison inhabitable25. 

La nécessité de préparer une mesure grave en donnant la possibilité à son destinataire de faire valoir ses arguments est attachée à celle qui revêt une portée individuelle26 et non à l’élaboration de dispositions à caractère réglementaire27.

NB : un acte à portée individuelle se distingue d’un acte à portée réglementaire par le fait qu’il ne peut pas créer une règle nouvelle et qu’il doit viser une ou plusieurs personnes nominativement identifiées ou situations concrètement déterminées contrairement à l’acte réglementaire qui détermine son champ d’application au moyen de termes généraux et abstraits28. 

Notons d’ailleurs qu’un acte administratif à portée réglementaire ne perd pas son caractère réglementaire même si lors de son entrée en vigueur, dans les faits il ne concerne qu’un seul administré, du moment que son champ d’application est déterminé au moyen de critères généraux et abstraits et qu’il soit susceptible, à l’avenir, de concerner de nouveaux destinataires qui répondraient aux conditions dudit acte29. 

Cette thèse est confirmée par divers arrêts du Conseil d’Etat dont notamment l’arrêt du 19 septembre 201630 où le Conseil d’Etat affirme que le principe audi alteram partem n’a pas lieu de s’appliquer lors de l’adoption d’un arrêté du bourgmestre qui constitue une mesure de police à caractère général, même si celui-ci a été adopté suite à une manifestation projetée par la requérante. 

Conclusion

L’application des principes de la défense ou du principe audi alteram partem par le Conseil d’Etat est très évolutive et à terme peut-être que la distinction entre ceux-ci est vouée à disparaître ?

D’ailleurs, les garanties octroyées par l’un ou l’autre principe ont de plus en plus tendance à s’entremêler. 

Ces principes ont le point commun de ne s’appliquer, en matière de police administrative, qu’à des actes administratifs à portée individuelle. En effet, il ne serait pas concevable d’entendre toute la commune lors de l’élaboration d’un règlement communal.